La première fois que j'ai joué à un Darkstalkers, c'était le 3, sur Playstation 1. On me l'avais prêté.
A l'époque, je ne connaissais que Street Fighter (et j'étais étrangement fasciné par Blanka, parce qu'il ressemblait à un Super Saiyan), et il va de soit que je n'avais aucune notion technique du jeu de combat, je faisais les coups spéciaux contre le CPU en mode arcade, et j'étais content.
Je me rappelle avoir passé de très bons moments contre ce même ami CPU sur DS3. Jeune et naïf comme j'étais, je m'étais bien évidemment empressé de prendre le loup garou. Parce que les loups garou, c'est cool. En plus, celui-ci faisait du kung-fu, et j'aimais bien le kung-fu, j'avais déjà vu Operation Dragon.
Déjà à l'époque, la direction artistique m'avait foutu sur le cul. L'heure était aux nouveaux jeux en 3D sur PSX, mais j'avais encore cette fascination pour la 2D et les sprites qui se déformaient. Avec DS3, j'étais servi.
Jamais je n'aurais pensé avoir à faire à un jeu si technique et si complexe, alors que je ne faisais que réciter les coups spéciaux que j'avais pu voir sur le livret du jeu.
Puis quand je me suis enfin aventuré dans le jeu de combat en tant qu'activité technique, psychologique et sportive, je me suis dis "tiens, et si je regardais des matchs de DS3 sur YouTube, c'était cool ça, j'aimerais bien voir comment les vrais joueurs y jouent".
Et là, grosse claque, la beauté du jeu dans sa forme compétitive était bluffante. Sa complexité et sa profondeur m'ont ébloui, mais aussi presque démotivé, j'avais l'impression que jamais j'aurais le temps de taffer ce jeu sans avoir à oublier tous les autres.
Et dans ce sentiment de frustration, j'ai pris la décision à l'époque de faire un Spotlight sur un des personnages. Si je ne pouvais pas maîtriser Gallon avec un stick, j'en parlerai avec une vidéo.
Script :
[Ce texte est mis à libre disposition, j'autorise toute reproduction ou réutilisation, partielle ou totale,
à raison d'un simple respect de la source.]
En 1994,
alors Pulp Fiction reçoit la Palme d'Or du festival de Cannes et que
Final Fantasy VI s’apprête à imposer sa suprématie dans le monde
du RPG, le jeu de combat reste dans la tête de nombreux joueurs.
Street Fighter II voit sortir son ultime et quasi-parfaite version,
et l'adaptation cinématographique prouve que même le décès d'un
acteur ne suffit pas à convaincre la critique.
Et
pendant que les joueurs du monde entier essaient secrètement
d’exécuter des Hadouken et autre Tatsumaki dans leur chambre,
Capcom se prépare à sortir le premier épisode de la série de jeu
de combat Vampire aussi connu sous le nom de Darkstalkers en
occident.
La
création du premier épisode : The Night Warriors reflète
l'envie, voir le besoin qu'à la franchise de prouver sa supériorité
face au SNK de l'époque. Souvent critiqué pour avoir sorti
plusieurs versions du même jeu, Capcom se doit de frapper fort, et
surtout, de frapper autrement.
Car si
Vampire se démarque de la série Street Fighter par son gameplay
agressif, c'est surtout en terme d'animation que le jeu se voit être
un grand pas en avant dans le monde de la bagarre.
Et afin
de justifier l'utilisation abusive d'animations exagérées, le jeu
se voit adopter un thème approprié : celui des monstres
fantastiques.
Vampire,
Yeti, Succube... Darkstalkers s'éloigne des styles de combat encore
trop académiques de Street Fighter pour se permettre d'en mettre
plein la vue aux joueurs, avec des attaques aussi absurdes
qu’impressionnantes.
Et au
milieu de cette surenchère bien calculée se trouve Gallon, un
loup-garou plus connu sous le nom de Jon Talbain en dehors du japon.
Un nom d'emprunt qui rappellera celui de John Talbot, dans le film
The Wolf Man, mettant en scène un père et son fils atteint de
lycanthropie.
Le jeu
semble assumer ces inspirations, en lui donnant comme année de
naissance, celle de la production de l’œuvre, comme ce fut aussi
le cas pour le personnage de Aulbath et du film Creature of the Black
Lagoon, d'où il est directement inspiré.
La série
Vampire ne cachera pas ses hommages au monde du cinéma, et c'est
bien Gallon qui en sera le meilleur exemple. Si certaines références
se feront discrètes, celles sur son style de combat seront plus
évidentes.
La
marque qu'a laissé Bruce Lee dans les arts martiaux a
particulièrement été importante dans le jeu vidéo, et rares sont
les jeux de combat qui se passent d'un personnage inspiré de
l'acteur. Style vestimentaire, nunchaku, poses de victoires, les
clins d’œil sont évidents et nous rappellent que Capcom jouait
déjà de ces clichés 1 an plus tôt avec le personnage de Fei Long
dans Super Street Fighter II
Mais là
où cette réutilisation aurait pu passer pour un manque
d'inspiration, Gallon se voit être le représentant d'une série de
jeux misant sur l'exagération scénaristique et technique. Le
personnage répond aux codes établis par la firme elle-même, mais
sa nature de loup-garou lui permet de répondre aussi à cette envie
de démesure : Gallon n'est pas qu'un pratiquant de kung-fu,
Gallon est un loup-garou, pratiquant le kung-fu.
Mais au
delà de son rôle pratique, le personnage se voit aussi être un
représentant de sa condition de loup-garou au sein du jeu vidéo.
Gallon
est né d'une mère humaine et d'un père lycanthrope, et même si
l'étape de la morsure lui est inconnue, c'est bien l'angoisse de la
transformation qui sera mis en avant dans ses apparitions
scénaristiques. Gallon se bat contre son autre personnalité, et
consacre sa vie au combat afin de se punir de ses propres actes de
sauvagerie.
Les
origines du loup-garou sont floues, mais aux travers des supports
culturels, celui-ci représente presque toujours la cruauté de
l'homme et de ses instincts primaires.
Deux
visions s'affrontent alors : si les romans ou les films mettent
l'accent sur la peur de soi, le jeu vidéo préférera mettre en
avant le fantasme que représente le lycanthrope.
Car un
loup-garou est avant tout un sur-homme, un monstre doté de capacités
physiques hors du commun. Le jeu vidéo se servira souvent de cette
évidence, pour justifier la puissance et l'implication scénaristique
d'un ennemi ou d'un personnage.
Mais le
scénario d'un jeu de combat n'ayant que trop peu de valeur, la
véritable forme de Gallon ne servira alors qu'à illustrer son
animation de début de match. Pour lui, cette réutilisation démontre
l'injustice de sa condition. Car même si celui-ci se livre un combat
intérieur, il ne restera aux yeux des joueurs que le simple
« loup-garou du jeu ».
Créé
avec précision par Capcom, Gallon représente à lui seul la volonté
d'une firme entière. Son statut de loup-garou a permis de démontrer
les avancées techniques de la série Vampire, au risque de faire
passer son implémentation pour de l'auto-dérision.
D'autres
loups-garou se feront connaître dans le monde du jeu vidéo, comme
Sabrewulf dans le jeu Killer Instinct, qui se bat afin d’acquérir
un traitement à sa lycanthropie. Là encore, un semblant de scénario
traitera discrètement de sa condition. Mais Gallon restera le
parfait exemple de la cruauté du jeu de combat, qui préférera
toujours, et à juste titre, l'image du combat physique et sanglant,
à l'affrontement psychologique d'un homme et de son monstre.
Lien de l'épisode : https://www.youtube.com/watch?v=uVZBLYCl9-U
Musique écoutée pendant la rédaction.
Faun