mercredi 9 juillet 2014

Pourquoi il faut lire Glaucos

Avant tout, je tiens à remercier les personnes ayant pris la peine de commenter mon dernier article sur Bakuman. Des commentaires intéressants et argumentés comme on aime en lire. 
Merci à vous.
En plus de cela, je vous met le lien de cette playlist très astucieuse qui accompagnera à merveille la lecture de l'article d'aujourd'hui : ICI (Avec plein de pistes dedans, au cas où vous soyez un très mauvais lecteur, ou prompt à faire de nombreuses pauses pipi.)



GLAUCOS

2003 - 2005
4 tomes (fini)
Scénario et dessins : Akio Tanaka (Coq de Combat, Meisou o Border...)
Style : obscurité, silence et contemplation.






"Et bien dans un de mes mangas préférés, les meilleurs scènes, c'est quand il fait presque noir, et que personne ne parle, et que le héros il bouge pas !"

Personne ne vendrait un manga comme ça pas vrai ? Bah c'est pourtant un peu ce que je vais faire.


Couverture du premier tome,
qui représente bien l'esprit de la série.
Si je devais faire un listing express des mangas m'ayant le plus marqué cette dernière année, Glaucos serait sûrement un des premiers qui me viendraient en tête.
J'ai souvent tendance à privilégier les séries courtes ou les one-shots dans mes choix de lecture. Déjà parce que je préfère m'assurer qu'un manga soit fini avant de le commencer (l'exception du moment étant Kuroko's Basket, j'en parlerais peut-être une autre fois), et aussi parce que j'ai tendance à croire qu'il est plus simple pour un auteur de construire une histoire cohérente sur un nombre de tomes réduits. Glaucos étant une série en 4 tomes, ça a été un gros argument dans ma décision d'emprunter la série à ma bédéthèque.

En une phrase : Glaucos parle d'un jeune homme nommé Cisse, apparemment naturellement doué pour la plongée en apnée, qui va faire la rencontre d'un ex-plongeur français qui va l’entraîner.




En plongée, même la compétition
est une affaire de lutte intérieur.
Au vue du résumé, on a tendance à s'imaginer alors un shonen faussement déguisé, mais il n'en est rien. Glaucos, au lieu de se fixer sur la compétition pure et dure, va surtout décrire le sport d'un point de vue très personnel. En fait, je dirais que c'est souvent la principale différence entre le "shonen" et le "seinen" sportif ; le shonen mettant l'accent sur la compétition et l'adversité entre les personnages, le seinen se fixant sur l'évolution personnelle et souvent psychologique du héros.

Et là où on pourrait penser que le thème de la plongée en apnée manque un peu de mordant, ou pourrait faire défaut face à la curiosité du lecteur, on se rend en fait compte que le sport en question met parfaitement en avant cet aspect solitaire et intérieur de la performance.
Esprit d'équipe, puissance, vitesse et technique d'un héros combatif... rien de tout cela n'est présent dans ce manga pourtant sportif. Ici, le combat du corps se déroule à l'intérieur même du corps.





Mais le manga en tant que support lui, qu'est ce qu'il apporte à cela ? 
Les codes graphiques du manga, le découpage dynamique des pages, les effets de mouvements qui soulignent la mise en scène, tout cela sonne comme une évidence quand un personnage tape dans un ballon, donne un crochet du droit, ou attrape une balle.
Dans un manga ou l'action domine, toutes les astuces graphiques sont bonnes pour tenir le lecteur en haleine. Et pourtant, dans Glaucos, c'est au travers du silence graphique que le suspense apparaît comme une évidence. Dans Glaucos, sans être absente, l'idée de mouvement devient implicite. Quand Cisse plonge, le mouvement n'est plus attendu, au contraire, il est presque craint.

Un entraîneur, des rôles témoins...
Une mise en scène connue,
 mais ici au service de l'immobilité.
Même les néophytes comprennent très vite que le calme et le sans-froid régissent le sport dont il est question. Et pendant les longs moments où le héros se retrouve sous l'eau, le lecteur se surprend à craindre que le calme des cases soit interrompu.
Une sensation insolite pour un tel support. Des auteurs comme Taniguchi nous on certes habitué à l'exploit sportif personnel et humain, avec des œuvres comme Le Sommet des Dieux ; mais rarement un manga aura emmené aussi loin le lecteur dans l'angoisse du sport décrit.



Dans Coq de Combat,
corps = mouvement + torsion

Il est d'ailleurs intéressant de noter que l'auteur, Akio Tanaka travaille aussi en tant que dessinateur pour la série Coq de Combat, un manga mettant en avant le corps humain au travers de la violence.
Au delà de l'évidente différence de traitement du mouvement entre les deux œuvres, on remarque dans Glaucos une forme de contemplation de ce même corps, mais dans sa forme la plus calme et la plus paisible, là où Coq de Combat soulignait la torsion et la déformation.





La maîtrise du noir décrit l'océan
à la perfection.
Ce calme, cette sérénité, se traduit aussi par un environnement assez bluffant. La documentation est parfaite, les jeux de lumières dans les eaux peu profondes nous fait découvrir des pages pleines de récifs et de coraux extrêmement détaillés. Et quand Tanaka (et surtout ses assistants) ne dépeignent pas un magnifique paysage sous-marin, c'est l'obscurité la plus totale - et donc la plus fidèle - des eaux profondes qui vient faire basculer le lecteur dans une sensation paradoxale, entre malaise et fascination.


A noter aussi l'équilibre parfait dans lequel s'inscrit le scénario : entre le fond de légende du Pacific, et la vision scientifique et médicale de l'activité, qui vient confirmer notre respect pour les compétences du héros.







Glaucos est un manga contemplatif. On commence à le lire intrigué, puis on se rend compte à quel point de "simples" dessins de l'océan peuvent nous faire comprendre la fascination que certaines personnes lui vouent : des plongeurs qui mettent leur vie en danger pour se sentir au plus près du silence parfait. Puis après avoir contemplé cet océan, ce sont ces plongeurs qui nous fascine à notre tour.
Il était légitime de douter de l'intérêt du manga dans la description de la plongée en apnée, mais mieux que quiconque, Akio Tanaka a su prendre à contre-pied les codes du manga sportif classique pour nous en livrer une peinture parfaite, et parfaitement humaine.





Ma note : 4xLisezLe/JacquesMayol
Rufio.

Musique écoutée pendant la rédaction.
A Secret Sleeping in the Deep Sea de Final Fantasy VII,
 parfaite pour l'ambiance.

jeudi 3 juillet 2014

Mon problème avec Bakuman





BAKUMAN

2008 - 2012
20 tomes (fini)
Scénario : Tsugumi Oba (Death Note)
Dessins : Takeshi Obata (Death Note, Hikaru no Go, All You Need is Kill...)
Style : nekketsu mal déguisé et frileux.





Le crayon d'Obata n'a plus rien
à prouver à personne.


Il y a quelques mois j'ai lu l'intégralité des Bakuman. Je n'avais jamais entendu parlé du manga avant, et quand j'ai vu puis feuilleté les premiers tomes, j'ai été plutôt charmé. Des dessins d'Obata (que je ne voyais pas encore partout à l'époque), et surtout, un thème très intéressant, celui de l'édition du manga.
En très résumé, le scénario nous présente deux personnages voulant devenir mangaka. L'un étant dessinateur, et l'autre scénariste (comme les réels créateurs du manga en fait).

Bakuman est une assez bonne série. Le scénario possède quelques bonnes idées, la qualité technique est presque irréprochable... Malgré cela, j'ai été assez déçu au fil de ma lecture.

Avant tout, le manga est un gros paradoxe : "parler de l'édition japonaise, en étant soit-même édité par la société dont on parle"... j'ai voulu croire à un coup de massue, à une polémique, à des couilles posées sur une table.
Mais non.



Pour faire bref, l'édition des manga au japon (et particulièrement des shonen) fonctionne ainsi : l'éditeur contrôle ce qui est dessiné, au point d'être un véritable deuxième scénariste, et les lecteurs votent régulièrement pour leur série préférée au sein du magazine, ce qui décide de l'arrêt ou de la poursuite des séries.
Deux problèmes donc : le mangaka n'est pas propriétaire de son oeuvre et une trame scénaristique sera toujours dépendante du goût des lecteurs, et souvent bancale sur la fin à cause de l'épée de Damoclès sur la tête du mangaka.
Bakuman expose souvent ces problèmes. Certains personnages viennent défier ce système, d'autres essaient de le contourner. Bref, le manga pose clairement les bonnes questions.
Le problème c'est qu'il répond à côté de la plaque.

Là où un boulevard était tracé pour critiquer ce système dégueulasse, les auteurs décident frileusement de jouer la carte du courage, de la volonté et de la passion de leur deux héros :
C'est dégueulasse d'être traité ainsi !... Mais quand même, heureusement qu'on a la passion et l'envie de plaire au public.

Et c'est là où le bât blesse : un sujet intéressant et plutôt didactique vient se perdre dans les marécages du shonen de base. Des héros, un but, des rivaux, de la volonté... Le manga se transforme petit à petit en une caricature de ce dont il comptait parler, une simple transposition de codes sur un thème un peu original.

Evidemment que ça marche de transposer ces codes à n'importe quoi : Naruto et les ninjas, Toriko et la cuisine, Kuroko et le basket... Ces codes mettent en avant l'idée même du climax et de l'opposition de personnages, il est logique que cela fonctionne auprès des lecteurs qui ne peuvent lire qu'un chapitre par semaine (je parle bien des lecteurs japonais qui lisent en prépublication dans les magazines en question).

Certains diront à raison qu'on "ne peut pas mordre la main qui nous nourrit", que des auteurs ne peuvent pas critiquer le système d'édition dont ils font parti... bla... bla...
Mais si ils ne peuvent pas, c'est justement parce que le système d'édition japonais ne laisse pas ce genre de liberté. Il est donc paradoxal de s'attaquer à un sujet du genre sans pouvoir aller jusqu'au bout.
Quitte à être pieds et poings liés, autant ne pas nous teaser avec des personnages qui ont raison de critiquer le système.

Parfois, héros et personnages secondaires se révoltent
...le temps d'un chapitre.




"Frileux" : c'est donc le premier adjectif qui me vient en tête quand je dois décrire Bakuman. Frileux dans sa volonté critique, mais aussi dans ses idées. Car même si il y en a des bonnes, encore une fois, on aurait pu espérer en voir plus.

Classroom of Truth : 
un manga à l'intérieur du manga.
Parler d'un manga qui traite de la création de manga amène à opposer des auteurs, et surtout des dessinateurs. A un moment dans le manga, les héros lisent le chapitre d'un concurrent en entier, et celui-ci prend donc la place du manga lui-même en pleine page. Une mise en abyme géniale. Mais malheureusement unique.

La mise en abyme, voilà un autre chemin qu'aurait pu (dû ?) prendre Bakuman. Là encore, un éventail gigantesque de possibilités s'offrait aux auteurs. Il est extrêmement frustrant de voir les personnages se multiplier dans le scénario - surtout quand tous sont des mangaka - sans pour autant lire leurs œuvres. Les différents mangaka ont chacun leur projet au sein du scénario, mais le lecteur de Bakuman ne profitera de leur création que par le biais de portraits de leurs héros respectifs, lors de comparatifs de popularités ou autres.





De plus, il était évident qu'avec un thème comme celui-ci, le nombre de bulles à lire serait important. Peu de scène peuvent être décrites uniquement visuellement. Ce n'est pas une mauvaise chose en soit, mais on se rend vite compte qu'on peut tout comprendre de l'histoire en ne lisant que les bulles, les dessins n'étant là que pour décrire les sentiments (excessifs) ou les mises en scène (exagérées) des personnages. Et ce défaut se fait encore plus ressentir avec ce manque de mise en abyme.

Ici, les codes du manga ne servent pas l'action
mais des réactions excessives et trop nombreuses.


Finalement, si Bakuman ne souffrait pas de ces défauts pendant 20 longs tomes (et au vu du nombre de bulles, un tome est vraiment très long à lire), c'est un manga que j'aurais conseillé. Il est malgré tout didactique et en apprend beaucoup sur le monde de l'édition des mangas.
Il est cependant dommage que le lecteur doive lire entre les lignes pour comprendre à quel point le système d'édition japonais est mauvais. Car qui mieux que des mangaka auraient pu critiquer le monde du manga.

Ma note : 3 ouistitis²/B

Rufio.

Musique écoutée pendant la rédaction.
Absolument rien.