samedi 18 octobre 2014

Spotlight OFF : Edea Kramer




J'ai très longtemps hésité avant d'écrire sur un personnage de RPG. Non pas que ça ne m’intéresse pas, au contraire. Mais j'ai tout de suite compris quels seront les pièges et les problèmes. Contrairement à des personnages tirés d'autres jeux moins "profonds", il y a beaucoup de choses à dire sur ceux de RPG, trop en fait. Trouver un axe intéressant et original, qui ne serait pas déjà traité ou sous-entendu dans le jeu lui-même est donc compliqué.
J'ai refait Final Fantasy VIII il y a quelques temps (plus je le refais, plus je l'apprécie), et tout au long du jeu, deux personnages m'ont particulièrement intéressé : Edea et Laguna (Ultimecia aussi en fait, mais la piste de la fameuse théorie est très glissante).
Du coup j'ai longtemps hésité entre les deux personnages, car je savais que tous deux avaient vraiment quelque chose en plus que les autres, comme une seconde lecture particulièrement intéressante. Ce qui m'a fait penché pour Edea, c'est tout simplement ma fascination pour le mythe de la sorcière, dont j'avais déjà parlé dans l'épisode sur Cauldron (ICI). Les références culturelles, les inspirations historiques,... j'en ferai peut-être un Fabula un jour. Le nombre de jeux reprenant ce mythe est assez fou, mais très peu se posent des questions sur la véritable signification de la sorcière, et des jeux comme Bayonetta vont même jusqu'à tenter de prendre le mythe à contre pied, alors que plus que jamais, ils alimentent l'une de ses plus vieilles attributions : le sexisme.

J'avoue avoir joué un peu avec le feu en choisissant un FF pour ma première expérience de Spotlight sur un RPG, les templiers de la série étant très nombreux et surtout très virulents quand on s'attaque parle de détails. J'espère ne pas avoir à subir leur courroux, et si tout se passe bien, je reviendrai peut-être sur la série d'ici quelques épisodes ; un personnage de FFV m'intéresse tout particulièrement... En fait je considère la vidéo entière comme un test, si les gens en sont satisfaits, j'arrêterai de me priver des RPG dans ma recherche de sujets.




Script de l'épisode : 
[Ce texte est mis à libre disposition, j'autorise toute reproduction ou réutilisation, partielle ou totale, 
à raison d'un simple respect de la source.]

En 1999, alors que Matrix sort en salle, et qu'Ariane 5 envoie l'observatoire XMM-Newton autour de la terre, la science fiction continue d'inspirer un grand nombre de créateurs de jeux vidéo.
Après s'être intéressé au thème dans FF7, Squaresoft assume ainsi ce parti-pris 2 ans plus tard avec FF8. Deuxième épisode en 3D de la série, l'histoire se base sur des voyages temporels, et apporte ainsi une certaine complexité scénaristique.
Cependant, toute la première partie du jeu se basera sur une intrigue plus classique, où un groupe de mercenaires tentera d'éliminer une figure politique : la sorcière Edea.

Conçu d'abord pour intégrer Final Fantasy 7, Testuya Nomura s'inspire du deuxième chara-designer de la série, Yoshitaka Amano, pour créer le personnage. Courbes, spirales, accessoires multiples, le style graphique ne trompe pas, et son intégration dans FF8 crée ainsi un réel décalage. Edea se démarque alors déjà du reste des personnages, en mettant en opposition deux univers graphiques, et donc deux périodes de la série Final Fantasy.

Dans le scénario, Edea se retrouve confrontée aux héros après avoir été possédée par une autre sorcière venue du futur. Et même si elle est la première grande antagoniste féminine dans l'histoire de la série, elle continue à perpétuer la tradition du vrai et du faux méchant. Ce procédé scénaristique est bien connue des RPG japonais, et particulièrement de la saga FF. L'idée étant de présenter un premier ennemi au joueur, tout en lui faisant comprendre qu' il ne sera pas celui qu'il combattra à la fin du jeu.
Cette tradition étant très ancrée, le but des scénaristes n'est alors plus de faire en sorte de piéger le joueur, mais plutôt de lui faire se poser des questions sur la nature du coup de théâtre.
Mais si son implication dans le scénario était prédestiné, Edea Kramer semble déjà assumer un rôle à part dans la vision souvent manichéenne du RPG japonais.
Car en plus de se repentir des crimes dont elle n'est pas coupable, le joueur collaborera avec elle, et ira même jusqu'à l'avoir dans son équipe, pour une courte période.

Ainsi, au travers de son rôle scénaristique, Edea fait comprendre au joueur la cruauté du scénario.
Mais cette deuxième lecture sera d'autant plus importante dans les versions occidentales du jeu. Car si l'image de la sorcière est très ancrée dans notre culture, il se trouve qu'une fois au japon, toute sa symbolique n'existe plus.
En europe, la sorcière est inconsciemment liée à son lot de stéréotypes, qui existent depuis l'inquisition. Nez crochus, pustules, il est évident qu'Edea se détache de cette image, mais pour un joueur occidental, sa simple appellation de sorcière en fait déjà un personnage décalé dans un univers qui tend clairement vers la science fiction. Et si ce décalage est dû à un écart culturel plus qu'au scénario lui-même, c'est ce même scénario qui va prendre une autre dimension une fois sorti des frontières du japon.
Pendant tout le jeu, les sorcières évoqueront la crainte de la part des personnages, jouables ou non. Et lorsque les sorcières sont prises pour cibles à plusieurs reprises dans le scénario, comme c'est le cas pour Edea, notre culture peut alors nous rappeler l'absurdité de la chasse aux sorcières du XVIeme siècle.

Et si le jeu se détache quelques temps de la tradition manichéenne, c'est en partie parce qu' Edea est un personnage double, mais surtout parce qu'elle fait se poser des questions au joueur quant à la moralité de sa mission.

A la fin du jeu, le joueur comprend que toute l'intrigue est basée sur une boucle temporelle. Les événements finaux étant aussi ceux qui déclenchent l'intrigue principale du jeu.
Et si il aurait été facile de mettre en cause un événement aléatoire, indépendamment des personnages, il se trouve que c'est Edea qui se retrouve au centre de cette boucle. En plus de lever le voile sur la complexité du scénario, le joueur se rend ainsi compte de l'importance d'un personnage sensé s'effacer au milieu du jeu. Edea Kramer n'est alors plus qu'un simple faux méchant ou une simple sorcière, mais un personnage omniscient, conscient du passé et du futur des protagonistes.
Manipulé, désinformé, le joueur se rend compte que les clés du scénario qu'il a suivi se trouvaient entre les mains du personnage depuis le début.
Mais rien dans le scénario du jeu n'expliquera clairement la raison pour laquelle Edea garde son savoir secret.
Et ce qui n'est sans doute qu'une facilité scénaristique fait d'Edea Kramer un des rôles les plus énigmatique de la série Final Fantasy.

Conçu et créée par une tradition de la série, Edea Kramer est à la croisée de deux visions graphiques, mais aussi de deux cultures.
Perçue d'abord comme un premier ennemi traditionnel, son implication scénaristique en fait un personnage à part, et la culture du joueur occidental en fera même la représentante d'un scénario complexe, dans son intrigue et dans sa thématique.
Parfois, l'exportation d'un jeu vidéo prendra compte des traditions et de l'histoire du pays ciblé, permettant ainsi d'adapter le scénario à la culture du joueur mais rarement l'exportation d'un jeu aura donné plus de crédibilité à un personnage que dans sa version d'origine.


Lien de l'épisode : https://www.youtube.com/watch?v=aCR_hkFSWx4


Musique écoutée pendant la rédaction.
L'OST de FFVIII, du coup.