jeudi 3 juillet 2014

Mon problème avec Bakuman





BAKUMAN

2008 - 2012
20 tomes (fini)
Scénario : Tsugumi Oba (Death Note)
Dessins : Takeshi Obata (Death Note, Hikaru no Go, All You Need is Kill...)
Style : nekketsu mal déguisé et frileux.





Le crayon d'Obata n'a plus rien
à prouver à personne.


Il y a quelques mois j'ai lu l'intégralité des Bakuman. Je n'avais jamais entendu parlé du manga avant, et quand j'ai vu puis feuilleté les premiers tomes, j'ai été plutôt charmé. Des dessins d'Obata (que je ne voyais pas encore partout à l'époque), et surtout, un thème très intéressant, celui de l'édition du manga.
En très résumé, le scénario nous présente deux personnages voulant devenir mangaka. L'un étant dessinateur, et l'autre scénariste (comme les réels créateurs du manga en fait).

Bakuman est une assez bonne série. Le scénario possède quelques bonnes idées, la qualité technique est presque irréprochable... Malgré cela, j'ai été assez déçu au fil de ma lecture.

Avant tout, le manga est un gros paradoxe : "parler de l'édition japonaise, en étant soit-même édité par la société dont on parle"... j'ai voulu croire à un coup de massue, à une polémique, à des couilles posées sur une table.
Mais non.



Pour faire bref, l'édition des manga au japon (et particulièrement des shonen) fonctionne ainsi : l'éditeur contrôle ce qui est dessiné, au point d'être un véritable deuxième scénariste, et les lecteurs votent régulièrement pour leur série préférée au sein du magazine, ce qui décide de l'arrêt ou de la poursuite des séries.
Deux problèmes donc : le mangaka n'est pas propriétaire de son oeuvre et une trame scénaristique sera toujours dépendante du goût des lecteurs, et souvent bancale sur la fin à cause de l'épée de Damoclès sur la tête du mangaka.
Bakuman expose souvent ces problèmes. Certains personnages viennent défier ce système, d'autres essaient de le contourner. Bref, le manga pose clairement les bonnes questions.
Le problème c'est qu'il répond à côté de la plaque.

Là où un boulevard était tracé pour critiquer ce système dégueulasse, les auteurs décident frileusement de jouer la carte du courage, de la volonté et de la passion de leur deux héros :
C'est dégueulasse d'être traité ainsi !... Mais quand même, heureusement qu'on a la passion et l'envie de plaire au public.

Et c'est là où le bât blesse : un sujet intéressant et plutôt didactique vient se perdre dans les marécages du shonen de base. Des héros, un but, des rivaux, de la volonté... Le manga se transforme petit à petit en une caricature de ce dont il comptait parler, une simple transposition de codes sur un thème un peu original.

Evidemment que ça marche de transposer ces codes à n'importe quoi : Naruto et les ninjas, Toriko et la cuisine, Kuroko et le basket... Ces codes mettent en avant l'idée même du climax et de l'opposition de personnages, il est logique que cela fonctionne auprès des lecteurs qui ne peuvent lire qu'un chapitre par semaine (je parle bien des lecteurs japonais qui lisent en prépublication dans les magazines en question).

Certains diront à raison qu'on "ne peut pas mordre la main qui nous nourrit", que des auteurs ne peuvent pas critiquer le système d'édition dont ils font parti... bla... bla...
Mais si ils ne peuvent pas, c'est justement parce que le système d'édition japonais ne laisse pas ce genre de liberté. Il est donc paradoxal de s'attaquer à un sujet du genre sans pouvoir aller jusqu'au bout.
Quitte à être pieds et poings liés, autant ne pas nous teaser avec des personnages qui ont raison de critiquer le système.

Parfois, héros et personnages secondaires se révoltent
...le temps d'un chapitre.




"Frileux" : c'est donc le premier adjectif qui me vient en tête quand je dois décrire Bakuman. Frileux dans sa volonté critique, mais aussi dans ses idées. Car même si il y en a des bonnes, encore une fois, on aurait pu espérer en voir plus.

Classroom of Truth : 
un manga à l'intérieur du manga.
Parler d'un manga qui traite de la création de manga amène à opposer des auteurs, et surtout des dessinateurs. A un moment dans le manga, les héros lisent le chapitre d'un concurrent en entier, et celui-ci prend donc la place du manga lui-même en pleine page. Une mise en abyme géniale. Mais malheureusement unique.

La mise en abyme, voilà un autre chemin qu'aurait pu (dû ?) prendre Bakuman. Là encore, un éventail gigantesque de possibilités s'offrait aux auteurs. Il est extrêmement frustrant de voir les personnages se multiplier dans le scénario - surtout quand tous sont des mangaka - sans pour autant lire leurs œuvres. Les différents mangaka ont chacun leur projet au sein du scénario, mais le lecteur de Bakuman ne profitera de leur création que par le biais de portraits de leurs héros respectifs, lors de comparatifs de popularités ou autres.





De plus, il était évident qu'avec un thème comme celui-ci, le nombre de bulles à lire serait important. Peu de scène peuvent être décrites uniquement visuellement. Ce n'est pas une mauvaise chose en soit, mais on se rend vite compte qu'on peut tout comprendre de l'histoire en ne lisant que les bulles, les dessins n'étant là que pour décrire les sentiments (excessifs) ou les mises en scène (exagérées) des personnages. Et ce défaut se fait encore plus ressentir avec ce manque de mise en abyme.

Ici, les codes du manga ne servent pas l'action
mais des réactions excessives et trop nombreuses.


Finalement, si Bakuman ne souffrait pas de ces défauts pendant 20 longs tomes (et au vu du nombre de bulles, un tome est vraiment très long à lire), c'est un manga que j'aurais conseillé. Il est malgré tout didactique et en apprend beaucoup sur le monde de l'édition des mangas.
Il est cependant dommage que le lecteur doive lire entre les lignes pour comprendre à quel point le système d'édition japonais est mauvais. Car qui mieux que des mangaka auraient pu critiquer le monde du manga.

Ma note : 3 ouistitis²/B

Rufio.

Musique écoutée pendant la rédaction.
Absolument rien.

4 commentaires:

  1. Une analyse intéressante. Mais je me permet d'évoquer l'idée que les auteurs n'avaient peut être aucune intention de critiquer ce système qui a fait leur succés. Bien au contraire, ils justifient toutes leurs pratiques en plaçant la "qualité" (au sens de l'attrait commercial pour le plus grand publique) au dessus de tous le reste (santé, relations humaines, emploi...).

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  2. "Et c'est là où le bât blesse : un sujet intéressant et plutôt didactique vient se perdre dans les marécages du shonen de base."
    Sauf qu'un shounen "de base" dans le Shounen Jump, ça semble vraiment très très très logique… Je suis toujours étonné de voir les gens chercher autre chose dans les shounen que ce qu'ils sont et ce pour quoi on les aime. Comme s'ils n'étaient pas assez légitimes en l'état, relax les gars, vous avez le droit d'aimer des "shounen de base" qui colle à la devise "amitié, effort, victoire" avec des ninjas ou autres sans complexe.

    La qualité de Bakuman。c'est de réaliser un mangaka manga version shounen à la sauce Jump. En ce qui me concerne je trouve que ça tape exactement où il faut pour remplir toutes les parts du contrat.

    Je pense aussi que dénoncer le système "dégueulasse" (mais qui a fait ses preuves) aurait été la naïveté à commettre, car pour le coup, montrer l'inflexibilité de la maison d'édition, c'est faire preuve de réalisme, par ce biais on comprend mieux les tensions qui existent réellement dans la vraie vie au sein du Jump, qu'on le veuille ou non, qu'on trouve ça regrettable ou pas (moi je ne trouve pas ça regrettable).

    "La mise en abyme, voilà un autre chemin qu'aurait pu (dû ?) prendre Bakuman. Là encore, un éventail gigantesque de possibilités s'offrait aux auteurs."
    En soi, montrer dans un manga des mangaka faire des mangas c'est de la mise en abyme, et des mangaka qui écrivent des mangas dans Bakuman。ça commence au volume 1 et ça s'arrête au dernier chapitre !
    J'ajoute qu'Otter 11 a eu son propre one shot http://myanimelist.net/manga.php?id=21274
    et j'ajoute aussi que dans le manga on insiste bien sur le fait que l'anime est une sorte d'aboutissement du manga (c'est leur objectif) il se trouve que dans l'anime de Bakuman。 tu as par exemple le vrai-faux opening de Crows https://www.youtube.com/watch?v=Ljn1s1ap1hs
    Je parle même pas de toutes les références intertextuelles qui sont faites à propos des mangas qui existent IRL.

    Voilà, je me suis montré un peu critique mais j'aime beaucoup ce que tu fais !

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    1. Je répond un peu aux deux personnes du coup.
      Attention, le shonen en lui-même ne me dérange pas. Au contraire. Ce qui me dérange c'est le paradoxe de Bakuman. Il est frustrant de les voir prendre le chemin de la critique par moment, en le quittant tout aussi vite. C'est là mon reproche. Car qu'ils aient fait leur manga pour critiquer ou non, le résultat est là, il y a bien un semblant de critique incomplète à la lecture.
      Et que du coup, 20 longs tomes pour tourner en rond autour des codes du shonen, sans jamais élucider cette question, c'est encore plus frustrant.

      Pour ce qui est de la mise en abyme, je parle bien de chapitre entier inséré dans le manga, pages par page. Un peu comme dans Billy Bats en fait. Il me semble qu'il n'y avait que cet exemple dans l'histoire.

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  3. J'ai le sentiment qu'à l'origine les auteurs voulaient justement sortir des sentiers battus. Ils n'ont peut-être pas dit tout ce qu'ils voulaient dans leur histoire, mais au moins ils auront essayé. D'ailleurs, ils le rappellent souvent : les mangakas ne sont que des parieurs.

    Je connais mal l'évolution de la popularité de Bakuman, mais il me semble qu'au fur et à mesure il baissait dans le classement. Certes, c'est difficile avec des bêtes de compét' comme One Piece et Naruto, mais je me souviens l'avoir vu quatrième au début et huitième vers la fin.

    Si cette intention de " révolutionner " le système éditoriale japonais était davantage présente au début du manga, je pense qu'ils ont dû faire face à leurs propres limites. L'utilisation exagérée des codes du manga tombe alors sous le sens.

    Ils le décrivent très bien avec le génie de Niizuma Eiji : tout le monde ne peut pas être se permettre de faire ses propres choix scénaristiques tout en étant acclamé par la critique.

    Au-delà de tout ce qu'on peut dire sur ce système (pour ceux que ça intéresse, voilà un article très détaillé sur le sujet), il y a une particularité culturelle indéniable que l'on retrouve dans le métier de mangaka : le travail d'équipe. Collaborer avec des assistants, avec un co-auteur, un éditeur... Ils participent tous à l'élaboration d'une même œuvre. Parfois, ça peut apporter du bon aussi.

    Malgré leurs exigences très sévères (ouh, doux euphémisme) et leurs travers liés aux votes, les éditeurs japonais prennent soin de leurs auteurs. Peut-être pas de la meilleure manière, certes, mais je crois que c'est ce que voulaient souligner les relations entre les personnages de Bakuman.

    Au fond, je crois qu'il y a quelque chose à apprendre de ce système, surtout en comparaison avec la manière dont sont traités la majorité des auteurs occidentaux. Qui sont, je le rappelle, souvent solitaires et pas aussi bien protégés.

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